→ Rien ne laisse présager de l'état de l'eau (2005)
Création chorégraphique
Dix danseurs : Édith Christoph, Bruno Danjoux, Vincent Druguet, Stéfany Ganachaud, Dominique Grimonprez, Jung-Ae Kim, Clément Layes, Blandine Minot, Alban Richard, Françoise Rognerud.
Musique : Thomas Jeker
Costume : Corine Petitpierre
Lumière : Françoise Michel
60 minutes
La Filature, Mulhouse
Note d'intention :
Montage Rémy Massé. DVD édité par le CRDP de l'Académie de Besançon.
Samuel Carnovali
L’EQUILIBRE DU TABLEAU
Rien ne laisse présager de l’état de l’eau
Odile Duboc parle rarement de l’image ou de la disposition visuelle de ses oeuvres, de peur, sans doute, qu’on s’en tienne à une surface immobile, au détriment des profondeurs, des strates successives, des longs processus dont elles émergent. Réfléchir à cette logique visuelle - logique des formes mais aussi des matières - ne revient pourtant pas à figer la danse, mais à en extraire l’équilibre singulier suscité par la chorégraphe. Car, dans les moments où la chorégraphie se décide, il est bien question de dosage, de répartition spatiale et rythmique, de dessin d’une trajectoire, de modulation des tensions, de direction du mouvement… Un tableau s’organise, mouvant, certes, mais qui ordonne les éléments donnés à voir. Une intuition sûre guide la chorégraphe ; elle exige une grande précision de ses danseurs : emplacement sur le plateau, distance entre deux interprètes, proportions, hauteur ou orientation d’un bras, d’un regard… De cet équilibre dépend la poésie d’une oeuvre. "Tout mon travail est basé sur ces notions de durée et d’agencement de l’image dans l’espace".
La chorégraphe a souvent dit, en revanche, sa fascination pour le cinéma ou son plaisir des paysages défilant, depuis la fenêtre d’un train. Elle est aussi touchée par l’art photographique ; "j’ai sans doute souvent traité l’instantané chorégraphique sans le savoir". Il est bien là question de cadrage, de point de vue, de successions de plans. Françoise Michel, quant à elle, a toujours rêvé de peindre. Aussi, ne s’étonnera-t-on pas qu’un tableau vienne inspirer trio 03 : Les Lutteurs de Natalia Gontcharova évoque une matière corporelle, proche du duo de trois boléros, où les corps enracinés dans le sol et agrippés l’un à l’autre tentent de s’extraire, sans jamais parvenir à se détacher de la matière commune qui les unit. Mais au-delà de la sensation physique, le tableau Les Lutteurs engendre aussi une couleur et une atmosphère qui vont orienter les partis pris de lumière. La danse devient une peinture en mouvement et Françoise Michel dit "peindre en lumière". La dernière création, Rien ne laisse présager de l’état de l’eau, se réfère à nouveau à la peinture. Les tableaux de Francis Bacon, ses triptyques intitulés études du corps humain, ont enclenché une recherche du mouvement autour de l’idée de déformation et d’informe. La peinture vient ici susciter des images du corps assez inhabituelles chez Odile Duboc.
La chorégraphe choisit en effet de laisser émerger de l’improvisation des danseurs des états corporels très divers. Ce travail donne à percevoir une autre économie du groupe, une dimension plus violente, mais aussi joyeuse ou sensuelle, des échanges. Urgence de courses éperdues, masse compacte de corps réunis en une mêlée, confrontations puis dispersions. Si l’évocation de l’eau ou de la liquidité demeure une constante dubocienne, l’élément se fait plus inquiétant.
La chorégraphe cite Le parti pris des choses de Francis Ponge :
"Elle est blanche et brillante, informe et fraîche, passive et obstinée dans son seul vice : la pesanteur……elle s’effondre sans cesse, renonce à chaque instant à toute forme, ne tend qu’à s’humilier, se couche à plat ventre sur le sol…On pourrait presque dire que l’eau est folle, à cause de cet hystérique besoin de n’obéir qu’à la pesanteur".
Julie Perrin, 25 ans de création, 2006